Les policiers haïtiens utilisent leurs armes pour se faire entendre

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Alors que Jovenel Moïse se proclame être le Président rassembleur, sur le terrain, on ne peut que constater avec amertume que le pays n’a jamais été aussi divisé. La dernière défection en date est celle de membres de la police nationale (PNH) qui ont manifesté de manière virulente pour faire entendre leurs revendications. Le pouvoir n’a dû son salut qu’à l’intervention des militaires qui ont été obligés de faire usage de la force pour restaurer le calme. Un combat fratricide qui témoigne de la vulnérabilité des institutions étatiques, mais aussi du chaos général qui règne actuellement en Haïti.

La police manifeste sa colère, le régime tremble

Certains disaient que ce n’était qu’une question de jours avant que les policiers ne sortent eux aussi dans la rue afin d’exprimer leur mécontentement. Ces derniers ont donc choisi la période du Carnaval pour faire valoir leurs droits. Une façon de dire à Jovenel Moïse que la fête est terminée ! Et pour marquer leur coup et montrer que leurs revendications doivent être prises au sérieux, ils ont manifesté en étant munis de leurs armes de poing. Autant dire que tous les ingrédients étaient réunis pour que cela finisse en bain de sang à la moindre étincelle.

Surpris par ce danger qui vient de son propre camp, Jovenel a eu recours aux militaires pour étouffer les nouvelles voix dissidentes issues des forces de l’ordre. L’armée, dissoute en 1995 à cause de son implication dans de nombreux coups d’État et exactions, fut à nouveau sollicitée sous sa nouvelle forme reconstituée pour défendre un Président impopulaire qui a perdu toute légitimité aux yeux de la majorité des Haïtiens. De leur côté, les policiers excédés par le manque de moyens, un salaire dérisoire et des conditions de travail déplorables ont joué leur va-tout pour faire passer leur doléances.

Il faut dire qu’ils sont les premiers exposés dans un pays qui a connu une sérieuse dégradation de sa situation sécuritaire ces dernières années. Au début du mois déjà, une demi-douzaine d’agents avaient été licenciés pour avoir voulu s’organiser sous forme de syndicat afin de mieux défendre leurs intérêts. Leur réintégration sans condition fait aussi partie des revendications des protestataires.

En ce 23 février donc, les observateurs ont assisté aux prémices d’une guerre civile. 6 heures durant, des échanges de tirs nourris ont eu lieu entre les policiers grévistes et les militaires qui défendaient le palais présidentiel ainsi que le QG du haut commandement de l’armée. Les policiers, munis de pistolets et de fusils semi-automatiques, étaient accompagnés de centaines de citoyens qui soutenaient leur cause. La majorité des agents contestataires portaient par ailleurs des cagoules, craignant qu’ils ne soient eux aussi congédiés si jamais ils venaient à être identifiés par leurs supérieurs hiérarchiques. D’après un premier bilan officiel, on déplore 2 morts et de nombreux blessés.

Le régime a du mal à sortir la tête de l’eau

La grogne générale s’accentue de jour en jour sans que les pouvoirs publics ne puissent y remédier. L’entrée de la police dans le mouvement de contestation marque un nouveau tournant dans la crise que traverse le pays, puisque les forces de l’ordre étaient jusqu’à présent l’un des piliers sur lesquels repose le régime de Jovenel. Sentant que le vent commençait à tourner en sa défaveur, le Président de la République a bien essayé de calmer la colère des policiers en mettant en place de nouvelles mesures : doublement de la carte de débit des agents qui passera à 10 000 gourdes, instauration d’une nouvelle structure d’assurance volontaire (ONA-POLIS). Mais il n’est pas sûr que tout cela soit suffisant pour satisfaire les nombreuses revendications des forces de l’ordre. D’après de nombreux analystes, c’est l’ensemble du modèle de gouvernance de Jovenel qui se lézarde.

Depuis que le gouvernement a essayé de relever le prix des carburants de 30% il y’a 1 an et demi de cela, et face à la levée de boucliers spectaculaire que cela a provoquée à travers tout le pays, les choses vont de mal en pis. On a l’impression que Jovenel et ses acolytes sont bloqués dans une sorte de sables mouvants. Plus ils bougent, plus ils s’enfoncent. Cela fait plusieurs mois que le Président essaie de rattraper les nombreuses gaffes commises lors de son mandat. Mais rien n’y fait. La majorité des Haïtiens ne veulent plus qu’une chose, sa démission. C’est le signe que le lien de confiance a été irrémédiablement rompu. Si les policiers sont restés à l’écart des protestations pendant de longs mois, l’évolution préoccupante de la criminalité sur le terrain a fini par avoir raison de leur patience.

Pas plus tard que le 29 février dernier, un véritable carnage a eu lieu à la rue des Miracles au centre-ville de Port-au-Prince, où des hommes armés ont fait irruption et tiré sur d’innocents passants, laissant derrière eux 8 morts étalés sur l’asphalte. Les malfrats sont ensuite repartis tranquillement sur leurs motos sous le regard choqué des badauds. En sous-effectifs, sous-équipées et mal payées, les forces de l’ordre se sentent abandonnées par le pouvoir en place, bien qu’elles soient les garantes de la stabilité du pays. Aujourd’hui, la scène vécue à la rue des Miracles est devenue monnaie courante. Les policiers doivent faire face à des gangs de plus en plus violents et disposant d’un véritable arsenal de guerre. Dès lors, ce ne sont plus les malfrats qui ont peur des policiers, mais plutôt l’inverse.

Même le Carnaval ne veut pas de Jovenel

Pour mémoire, Radio Télévision Caraïbes (RTVC) refusait de couvrir le Carnaval 2020 si la situation sécuritaire ne s’améliorait pas. Ironie du sort, son siège a tout de même été pris pour cible par des protestataires qui traquaient un drone soupçonné de filmer les émeutes. Des véhicules de la RTVC ont ainsi été incendiés, des carreaux caillassés et du matériel vandalisé. Les journalistes présents sur place et tétanisés par ces scènes de violences ne comprennent toujours pas qu’ils aient été pris à partie par les émeutiers. En conséquence, la station a cessé toute diffusion pour protester contre ce qu’elle considère comme un acte criminel qui entache les nobles revendications d’une frange de la PNH.
Toujours est-il, on n’en serait pas là si Jovenel avait fait preuve pour une fois de bon sens et de sagesse. Il est en effet inconcevable de s’entêter de la sorte à organiser un Carnaval alors que tous les voyants sont au rouge. Lors de notre dernière édition (Vol.20- No.451), nous avions évoqué la grande réserve des Haïtiens à faire la fête alors que le pays traverse une grave crise socio-politique. Le Président avait lui d’autres plans en tête. Il espérait que les festivités allaient distraire ses concitoyens qui en retour, mettraient en veilleuse leurs revendications pour quelque temps. Cela aurait permis à Jovenel de reprendre son souffle, réorganiser ses troupes et peut-être ralentir la chute libre de sa popularité dans les sondages.

Cela fait donc 2 années de suite que le Carnaval en Haïti est annulé. C’est un bon indicateur qui montre que le pays se dirige vers la mauvaise direction depuis que Jovenel est aux commandes. Pas besoin d’être devin pour constater l’échec total de la politique du Président actuel. Tous les secteurs d’activité sont en faillite ou en voie de l’être. Les infrastructures de base sont inexistantes, l’économie est à terre et nos institutions gelées. Avec un tel bilan catastrophique, même une démission ne rendrait pas justice à un pays meurtri. Jovenel devra tôt ou tard rendre des comptes pour sa gestion irresponsable qui a fait des centaines de morts et jeté des milliers d’Haïtiens à la rue. Pour les générations futures, la politique de Jovenel pourrait même être enseignée dans les écoles comme un exemple de mauvaise gouvernance et de prévarication infamante. Ça sera toujours ça de pris.

Dessalines Ferdinand/LE FLORIDIEN,
28 février 2020

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